Bovins du Québec, juin 1999, p. 10

Ensiler pour l’avenir du bœuf

Thomas H. Morgan *

L’industrie du bœuf a manifestement perdu l’avantage concurrentiel qu’elle détenait. Sa part de marché, tout comme la demande pour le bœuf, diminue depuis le milieu des années 1970. Pourtant, dans les années 1960, cette industrie produisait 49 % de toute de la viande consommée.

On a mis de l’avant de nombreuses hypothèses pour expliquer cette décroissance. J’avancerais pour ma part que si le bœuf a perdu une bonne part du marché, c’est parce qu’il ne jouit plus des mêmes avantages concurrentiels.

La baisse de production de fourrage, par rapport à celle du grain, a entraîné un déclin de la compétitivité des industries du bœuf et du fourrage et de parts de marché respectives. Dans les années 1960, lorsque le bœuf accaparait 49 % du marché, l’ensilage fournissait la moitié de l’énergie nette provenant des récoltes. Depuis le début de la présente décennie, la part de marché des produits d’ensilage a rejoint celle du bœuf, soit 35 %.

Les bovins de boucherie et les moutons sont des ruminants, alors que les autres sources productrices de viande sont monogastriques. D’un point de vue historique, le fait que la production de bovins pouvait se réaliser à partir des ensilages constituait un atout par rapport à la production de porcs ou de poulets. Au cours des années 1920 et 1930, la culture de la luzerne donnait entre 40 % et 60 % plus d’énergie nette que celle du maïs. Dans les années 1990, cette proportion s’est inversée, de sorte que la luzerne produit maintenant entre 50 % et 60 % moins d’énergie nette à l’acre. Et l’on observe la même tendance pour tous les autres fourrages.

Les bovins assimilent moins facilement les grains que ne le font les porcins et la volaille, mais ils assimilent sans difficulté les fibres. De plus, la production de fourrage était plus économique que celle du grain. C’est en raison de ces facteurs que les bovins étaient majoritairement engraissés ( à 86 % ) à partir de fibres alimentaires, alors que la volaille se gavait de concentrés. Au détriment des bovins, la productivité des ensilages n’a pas suivi le rythme de celle du grain fourrager. En outre, le nombre d’acres dédiées à la production de maïs dépasse maintenant de huit millions celui des acres dédiées à la production de fourrage. On constate donc facilement que la production de fourrage se laisse distancer par la production du maïs.

Jusqu’aux années 1970, du point de vue de l’énergie nette produite, la production de fourrage ( foin et ensilage ) équivalait à celle du maïs. Toutefois, au cours des trois dernières décennies, alors que la production du maïs continuait de croître ( doublant son volume des années 1960 ), il y eut ralentissement, stabilisation, puis décroissance de la production de fourrage.

Le rapport des prix sur le marché a évidemment suivi. Le coût du fourrage, par rapport au coût du grain, a doublé, entraînant une hausse du prix du bœuf par rapport à celui du poulet, son principal concurrent. Comme le consommateur a tendance à choisir la protéine la moins chère, la baisse du prix du substitut du bœuf a influé à la baisse la demande de boeuf.

Nous avons constaté une corrélation d’au-delà de 80 % entre la part de marché détenue par le bœuf et la part de marché des ensilages. Pour rétablir la demande et la part de marché du bœuf, je propose aux décideurs de l’industrie bovine de faire en sorte que le bœuf recouvre ses avantages concurrentiels par rapport à ses substituts.

Pour ce faire, il faut revaloriser la production et l’utilisation du fourrage par rapport au maïs, notamment en augmentant la superficie et la productivité de sa culture et en améliorant son utilisation.

Pour en arriver là, les décideurs de l’industrie, les politiciens et les scientifiques devront se pencher sur les politiques à établir, sur les méthodes scientifiques de production à adopter et sur l’utilisation des fourrages avec des cultures concurrentes. Par ailleurs, le développement de nouveaux produits s’avère moins facile en raison des prix non concurrentiels qui découlent de la perte des avantages traditionnels du bœuf. Parmi les solutions qui s’offrent, les décideurs doivent choisir celles qui profiteront le plus aux producteurs de bœuf.

À la lumière de cette nouvelle perspective, on comprend que le redressement de la compétitivité du bœuf résoudrait à 80 % le problème de la reconquête de sa part du marché. C’est pourquoi je presse l’industrie à ensiler pour l’avenir.

* président de Morgan Consulting Group Ltd., Kansas

Source : Feedstuffs, 13 avril 1998